QUAND LES PATIENTS ADMIS EN PÉDIATRIE NE RÉPONDENT PAS AUX ANTIBIOTIQUES : LA RÉSISTANCE ANTIBIOTIQUE AU SUD-SOUDAN

Published 2021-03-30 13:36
Photo: Dr. Hilaire Pato Mukobelva, MSF paediatrician, at the Hospital in Bentiu POC (South Sudan)/ MSF

Le Docteur Hilaire Pato Mukobelwa, qui répond à nos questions, est un pédiatre expérimenté, ayant travaillé en République Démocratique du Congo, au Rwanda, au Cameroun, au Niger ou encore en Afghanistan. Il fait partie du personnel médical de Médecins Sans Frontières depuis janvier 2017 et occupe actuellement le poste de Responsable Clinique de l'Hôpital de Bentiu (Soudan du Sud). Avant les Journées pédiatriques (15 et 16 avril 2021), il partage son témoignage en tant qu’acteur de première ligne faisant face à la résistance antibiotique en contextes humanitaires.

 

Pouvez-vous nous expliquer brièvement ce qu'est la résistance antibiotique ?

La résistance antibiotique est la capacité des microbes, en particulier des bactéries, à survivre aux médicaments quand nous utilisons contre eux. Par exemple, la salmonella (une bactérie responsable de la fièvre typhoïde) était généralement sensible à la ciprofloxacine, mais depuis quelques années, on constate une augmentation significative des cas de résistance à ce médicament en raison de la généralisation de son utilisation ou des abus fait dans certains pays en voie de développement.

 

Qu'en est-il de la ‘Prévention et du contrôle des infections (PCI)’ et du ‘programme de gestion des antibiotiques’ ?

La prévention et la lutte contre les infections est une approche et une solution pratique visant à prévenir les dommages causés par les infections aux patients et au personnel de santé. Toutes les mesures de santé publique en milieu hospitalier sont nécessaires : par exemple, se laver les mains avant de toucher chaque patient...

Le programme de gestion des antibiotiques est davantage axé sur l'utilisation raisonnée des antibiotiques.

Les principales préoccupations sont les suivantes : premièrement, nous devons vérifier si le raisonnement clinique qui a permis de poser un diagnostic est correct, et deuxièmement, nous devons vérifier si les médicaments prescrits correspondent au diagnostic. L'objectif de ces deux approches est de minimiser autant que possible les effets secondaires des antibiotiques, minimiser la résistance, minimiser la toxicité, optimiser les résultats cliniques et finalement, de réduire les coûts.

 

En tant que pédiatre ayant de l’expérience dans des contextes humanitaires, pouvez-vous nous expliquer pourquoi la résistance antibiotique est un sérieux problème pour MSF ? Et pourquoi particulièrement en pédiatrie ?

Ce sujet est très important et en même temps c’est un défi pour tout le personnel de santé. La résistance antibiotique s’accroît à un rythme alarmant dans les pays en voie de développement, en particulier chez les enfants et même chez les nouveau-nés. Par exemple, pendant ma mission en Afghanistan en tant que pédiatre, j'ai vu de nombreux enfants souffrant de septicémie grave, y compris des enfants mal nourris et des nouveau-nés, et ils ne répondaient pas aux antibiotiques habituels tels que l'ampicilline, la gentamicine, la ceftriaxone... La conséquence directe était un taux de mortalité très élevé. Plus nous raisonnons notre prescription d’antibiotiques, plus nous pourrons prévenir le développement de résistances et sauver des vies.

 

Comment MSF fait face aux défis présentés par la résistance antibiotique ?

MSF travaille dur sur :

- La prévention et le contrôle des infections ;

- La gestion des antibiotiques ;

- Les outils de diagnostic et la surveillance.

 

Comment les différents outils (SIPCA, Enquête de prévalence ponctuelle) sont-ils mis en œuvre au sein du projet de Bentiu ?

En ce qui concerne l'approche PCI par étapes (SIPCA), elle implique l’équipe WatSan (Eau et assainissement) et l'équipe logistique pour d'une évaluation. Les observations sont directement notées sur le tableau de bord [kobo collect]. Cette évaluation a lieu deux fois par an et nous vérifions le niveau de PCI.

Et concernant l'Enquête de prévalence ponctuelle (PPS) la première a eu lieu en février 2019, la seconde en février 2020. L'enquête globale sur la prévalence ponctuelle (Global Point Prevalence Survey - GPPS) est un outil qui permet d'obtenir des indications en « instantané » sur la quantité d'antimicrobiens utilisés en une journée, de savoir si leur utilisation est documentée et si elle est conforme aux directives locales et aux consignes qui nous concernent.

 

Pourriez-vous nous donner un exemple concret de ce qui se passe sur le terrain lorsqu’il n’y a pas de microbiologie possible ?

Il est très difficile de travailler sur la résistance antibiotique sans microbiologie. Comme mentionné ci-dessus, la prise de décisions cliniques et l'utilisation raisonnée des antibiotiques, basés sur des directives ou sur de la recherche médicale qui s’appuie sur des données probantes (evidence-based medicine) - sont les seuls moyens pour éviter la résistance antobiotique sur le terrain lorsqu’il n’y a pas de microbiologie possible. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire d'avoir un Comité AMR (Résistance antibiotique) qui évalue régulièrement la situation, notamment grâce aux outils PPS/SIPCA.

Dans la pratique, nous passons quotidiennement en revue tous les médicaments et les dossiers médicaux de tous les patients hospitalisés sous antimicrobiens. Les résultats sont communiqués à l'ensemble de l'équipe et des stratégies sont mises en place pour améliorer la situation.

 

L'urgence sanitaire liée au COVID-19 affecte-t-elle la mise en œuvre des activités de gestion des antibiotiques ?

Absolument. Nous avions prévu une "enquête de prévalence ponctuelle" (PPS) en février 2021, mais malheureusement elle a été reportée à cause de la Covid-19. Mais le Comité reste en place. L'idéal serait de l'organiser au moins deux fois par an.

 

L'équipe des Journées pédiatriques remercie Hilaire Pato Mukobelwa pour sa contribution à cet article.