LA COMMUNAUTÉ COMME PILIER : ASSURER L'ACCES AUX SOINS DE SANTÉ DANS DES CONTEXTES D'ISOLEMENT OU D'INSÉCURITÉ

Published 2021-04-03 18:05
Photo: Community health workers at MSF's base in Kumba, South-West Cameroon receiving training on how to provide first aid to injured patients before referral/MSF (2020)

Michel Quéré, qui répond à nos questions, est médecin diplômé de la Faculté de Médecine de Brest (France) et possède un Master en santé publique de l'Institut de Médecine Tropicale d'Anvers (Belgique). Son parcours professionnel avec Médecins Sans Frontières (MSF) débute en 1984. Pendant 25 ans, il fait partie de plusieurs missions sur le terrain, notamment au nord du Bénin, au Tchad et en République démocratique du Congo. Depuis 2009, Michel Quéré travaille au siège de MSF en Suisse, d'abord en tant que comme Référent Médical puis en tant que Réfèrent pour la santé communautaire. Il interviendra pendant les Journées pédiatriques (le 15 avril 2021) en tant que panneliste.

 

En quoi consistent les « modèles de soins communautaires » ?

On peut partir du modèle de soins décentralisés qui consiste à mettre en œuvre des soins en dehors des établissements de santé et plus près des patients afin de rendre les activités médicales (curatives et préventives) plus accessibles à ces populations. Dans ce modèle de soins décentralisés nous avons deux types d’interventions différentes :

- Les Interventions de santé communautaire, qui sont simplement des activités médicales et d'éducation à la santé dispensées dans la communauté par des agents de santé communautaires formés, afin d'être plus proches des populations.

- Les Interventions décentralisées : Ensemble d'activités de soins de santé primaires réalisées par du personnel qualifié employé par MSF et/ou le Ministère de la Santé et donc décentralisées dans la communauté.

 

Pourquoi est-ce-que ce modèle de soin est si important pour MSF ?

L’accès aux soins est primordial surtout pour les populations les plus vulnérables, les plus isolés ou dans des contextes d’insécurité et donc la décentralisation des soins au niveau communautaire est une stratégie simple, adaptée et efficace qui permet de renforcer l’accès aux soins pour ces populations tout en les responsabilisant.

MSF ne peut pas que se cantonner dans les hôpitaux et l’appui par les cliniques mobiles et les centres de santé ont aussi des limites. Pour une prise en charge encore plus précoce (ce qui réduit les cas compliqués) une décentralisation au niveau communautaire est très efficace, de par sa proximité, son acceptance, couvrant 7 jours sur 7.

Enfin, dans de plus en plus de contextes touchés par l’insécurité, les patients ont des difficultés à se rendre dans les centres de santé : le modèle communautaire joue alors un rôle essentiel.

Et par ailleurs le volet préventif et promotionnel au niveau communautaire est primordial.

 

 

Pouvez-vous nous donner quelques exemples de programmes de soins communautaires actuellement mis en place par MSF ?

Nous avons des programmes classiques (également développés par le Ministère de la Santé et par de nombreuses ONGs), comme la Prise en Charge Intégrée des Maladies de l’Enfant au niveau Communautaire (PCIMEC) qui désigne une approche intégrée pour évaluer et classer les signes et symptômes de la pneumonie, de la diarrhée et du paludisme chez les enfants de moins de cinq ans, mise en place par des volontaires et associée au screening nutritionnel. Ce programme est en place au Niger, à Magaria, avec 278 relais et peut être adapté selon les contextes.

Quelques examples de programmes que nous avons à MSF :

- A Agock, au Sud-Soudan, des programmes de prise en charge communautaire pour le paludisme, pour tous les âges ;  

- A Ngala et Rann, au Nigeria, à Djibo au Burkina Faso, et à Kolofata au Cameroun, des programmes de prise en charge communautaire du paludisme et des diarrhées ;

- A Ngala et à Gambaru (Nigeria), les soins communautaires ont pu être mis en place alors qu’ils sont traditionnellement dédiés à des zones rurales et à des villages isolés.

- En RDC dans les camps de Nizi et Angumu, en plus de la prise en charge communautaire du paludisme et des diarrhées, les mal nourris modérées sont pris en charge et des activités de planning familial sont organisées.

Par ailleurs nous travaillons sur des interventions à base communautaire telles que :

- Le programme « parent MUAC », en responsabilisant les parents sur le screening nutritionnel de leur enfant ;

- La « Case écoute », qui comprend des activités liées à la santé sexuelle et reproductive.

 

Photo: Violet Mesape, community health nurse, is receiving patients in a village in South-West Cameroon. This baby has symptoms of malaria/MSF (2020)

 

Comment la crise sanitaire liée au COVID-19 a-t-elle affecté ce type de service de santé ?

  • Concernant la demande en soins de santé décentralisés, nous attendons nous à ce qu’elle augmente, reste stable ou diminue ?

La priorité a été de maintenir le programme de prise en charge communautaire des cas et en toute sécurité. Il est essentiel que les Agents de Santé Communautaire (ACS) ne se mettent pas en danger et permettent que les consultations aient lieu tout en minimisant les risques avec donc un renforcement des mesures d’hygiène, de distanciation, de protection avec le masque et même dans certains projets de « no touch policy » (par exemple, sans faire le test rapide paludisme).

Et en définitive, il n’y pas eu de baisse de la demande et cela a permis de désengorger les centres de santé et donc de réduire le risque les risques de contamination.  

  • Et concernant les programmes en santé communautaires déjà existants (mis en place avant la crise du COVID-19) ? Sera-t-il possible de les adapter avec les ressources limitées disponibles ?

Il est possible de les maintenir vu leur faible coût et leur efficacité mais il est nécessaire de maintenir les financements minimums en termes de coûts de supervision et d’approvisionnement en médicaments.

 

Quels sont les principaux défis à relever pour la mise en œuvre des programmes communautaires ?

Parmi les nombreux défis, il y a ceux posés par :

- Le passage à l’échelle pour assurer une couverture des villages isolés ;

- L’approvisionnement sans rupture de stock ;

- Le maintien d’une bonne qualité des soins avec un vrai challenge notamment sur la prise en charge des infections respiratoires aigües et la sur-prescription d’antibiotiques ;

- L’adaptation au niveau d’alphabétisation très variable des Relais ;

- La collecte complexe de données et la nécessité de simplifier tous les supports de travail ;

- Et finalement, la fidélisation des Relais.

Il y a aussi le défi posé par « l’optimisation du paquet de soins ». Jusqu’où aller par rapport à ce paquet de soins et par rapport à la décentralisation des soins, au risque de créer une trop grande charge de travail pour les Relais et de cautionner les faiblesses du système de santé ?

 

Quelles stratégies sont utilisées et mises en place pour assurer la qualité des soins au niveau communautaire (un cadre médical non professional) ?

La qualité de la formation est un facteur clé, elle doit se faire avec des modules simples, des outils simples et une pédagogie adaptée. Le deuxième point clé est d’assurer la bonne qualité de la supervision formative. L’expérience nous a démontré que pour la prise en charge du paludisme et des diarrhées, pour l’introduction de « Sayana Press » et pour l’implémentation d’un programme « Parent MUAC »), cela a pu être mis en place avec succès. Par contre, nous avons encore du travail pour assurer une meilleure prise en charge des infections respiratoires aigües et pour gérer la sur-prescription d’antibiotiques.

 

L'équipe des Journées pédiatriques remercie Michel Quéré pour sa contribution à cet article.